24.04.2025
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INTERVIEW DU PRÉSIDENT D’ATHENORA CONSULTING, STÉPHANE DESSELAS PUBLIÉE DANS INFORMATIONS ENTREPRISE
Le lobbying français se réinvente à Bruxelles entre éthique et stratégieBruxelles est devenu le cœur battant de la régulation économique, où se jouent des batailles d’influence décisives pour les entreprises françaises. Pourtant, beaucoup peinent encore à naviguer dans cet écosystème complexe, faute de méthode et d’anticipation. Stéphane Desselas, président fondateur d’Athenora Consulting, décrypte l’évolution de la profession et les clés d’un lobbying efficace, structuré et éthique.
Informations Entreprise : Comment avez-vous vu évoluer la pratique du lobbying français à Bruxelles au cours des 30 dernières années ?
Stéphane Desselas (Président Fondateur d’Athenora Consulting) : Lorsque j’ai débuté dans le lobbying européen, il y a 30 ans, la profession était encore balbutiante pour les Français. Nous étions peu nombreux à Bruxelles, avec des méthodes artisanales essentiellement basées sur le relationnel et la prise de contacts. Depuis, nous sommes passés à une véritable professionnalisation du métier. J’ai personnellement contribué à cette évolution, notamment à travers mes publications et livres, mes formations à Sciences Po, l’ICP, l’ESCP et d’autres institutions, ainsi que par la création du groupe des nouveaux lobbyistes en 2005. Ce mouvement a permis à une nouvelle génération de lobbyistes, souvent formée aux méthodes anglo-saxonnes, d’imposer un lobbying structuré et efficace. Cette transformation était essentielle, car si les entreprises françaises ne faisaient pas entendre leur voix à Bruxelles, d’autres – Britanniques, Allemands, Américains – le faisaient à leur place. Aujourd’hui, le lobbying est devenu un levier stratégique incontournable pour les entreprises et institutions françaises, qui ont pris conscience de son impact face à la montée en puissance des normes européennes.
I.E : Quelles sont les erreurs les plus fréquentes que commettent les entreprises françaises?
Stéphane Desselas : Une erreur classique des Français en matière de lobbying à Bruxelles est de calquer leur approche sur le modèle hexagonal. En France, le pouvoir est centralisé, concentré dans quelques institutions clés comme l’Élysée ou Matignon. À Bruxelles, c’est l’inverse : le pouvoir est diffus, réparti entre la Commission, le Parlement et les États membres. Penser qu’un appel au commissaire européen ou à la présidente de la Commission suffit à débloquer une situation est une illusion. Il faut, au contraire, travailler en profondeur, dès les niveaux techniques, auprès des directions, des unités, des représentations permanentes des Etats et des députés.
Autre erreur récurrente : le manque d’anticipation. Trop souvent, les Français interviennent en dernière minute, une fois que les décisions sont déjà en cours de validation. Les Anglo-Saxons, eux, influencent bien en amont, parfois des années avant qu’un sujet n’arrive sur la table de la Commission.
Il y a aussi un déficit d’implication dans les associations et les think tanks. Les Français veulent y être visibles – présidents, vice-présidents – mais sans véritablement produire du contenu ou être moteurs. Cela laisse le leadership à d’autres nationalités plus actives.
Enfin, croire que la seule influence française suffira à gagner à Bruxelles, n’est pas juste. L’Union européenne fonctionne de plus en plus par majorité qualifiée, et la France ne peut pas tout imposer seule. Il est indispensable de nouer des alliances. Et bien sûr, le lobbying ne repose pas uniquement sur un carnet d’adresses, mais sur des méthodes modernes et rigoureuses.
I.E : Qu’est-ce qui distingue Athenora des autres cabinets de lobbying à Bruxelles ?
Stéphane Desselas : Deux éléments fondamentaux nous distinguent sur le marché du lobbying à Bruxelles. Le premier, c’est notre engagement absolu en matière d’éthique. Dès notre création, nous avons fait le choix de ne pas travailler avec certains secteurs et avons instauré une clause de conscience pour nos collaborateurs, à l’image des journalistes, leur permettant de refuser des dossiers contraires à leurs valeurs. Nous avons aussi été le premier cabinet français à nous enregistrer au registre de transparence de la Commission européenne, afin d’afficher clairement nos pratiques. Cet engagement éthique est très important pour nos clients, qui évoluent souvent dans les secteurs des services publics, de l’économie sociale ou de l’intérêt général.
Notre seconde singularité réside dans l’approche méthodologique. Bien que français, nous avons tout de suite adopté les techniques anglo-saxonnes de lobbying, reconnues pour leur efficacité. Nous avons ainsi su marier une vision française de l’intérêt général avec des stratégies d’influence modernes et rigoureuses. Ce modèle, qui allie transparence et efficacité, nous permet d’obtenir des résultats concrets pour nos clients, loin des pratiques basées uniquement sur les carnets d’adresses. C’est cette combinaison qui nous positionne aujourd’hui comme l’un des cabinets de référence à Bruxelles.
I.E : Quel rôle joue l’intelligence artificielle ?
Stéphane Desselas : L’intelligence artificielle apporte une réelle valeur ajoutée au lobbying, mais elle doit être utilisée à bon escient. Aujourd’hui, elle est un formidable outil pour la recherche et la synthèse d’informations, ainsi que pour la rédaction d’argumentaires. Autrefois, ces tâches étaient confiées aux collaborateurs juniors ; désormais, elles peuvent être automatisées, ce qui représente un gain de temps et de productivité considérable. Cela permet aux lobbyistes de se concentrer sur ce qui fait la véritable valeur ajoutée de leur métier : la stratégie et l’interaction humaine avec les décideurs.
Cependant, l’IA ne peut en aucun cas remplacer la fonction d’influence, qui reste au coeur du lobbying. Convaincre un décideur politique repose sur des relations humaines, sur une capacité à comprendre ses attentes, ses contraintes, et à adapter son discours en conséquence. À ce jour, aucune machine n’est capable de reproduire cette finesse d’interaction.
Nous avons toujours été à la pointe de l’innovation technologique. Nous avons ainsi été pionniers dans la mise en place de veilles digitalisées et d’outils de pilotage, et nous utilisons même notre propre IA générative adaptée à nos besoins d’affaires publiques. Mais nous l’utilisons avec discernement : comme un outil de préparation et d’analyse, jamais comme un substitut à l’influence humaine.
I.E : Pourquoi avez-vous décidé de créer une coalition sur la réforme des concessions et marchés publics au niveau européen ?
Stéphane Desselas : Chez Athenora, nous avons toujours misé sur l’anticipation et la structuration des débats pour permettre aux grandes entreprises françaises d’être prêtes face aux évolutions réglementaires européennes. C’est dans cette logique que nous avons créé plusieurs cercles de réflexion, dont le Cercle des Réseaux Européens, qui regroupe plus de quarante grandes entreprises de services publics, qu’elles soient privées ou publiques, dans des secteurs clés comme l’énergie, les transports, les télécoms ou encore la poste.
Un sujet stratégique se profile à l’horizon : la réforme des concessions de services publics et des marchés publics au niveau européen. Ce thème est central pour nos membres, car beaucoup d’entre eux sont directement concernés en tant qu’entreprises concessionnaires. Plutôt que de subir cette évolution, nous avons décidé de fédérer les acteurs français pour qu’ils puissent peser collectivement sur cette future réglementation.
Nous avons ainsi initié la mise en place d’une plateforme de travail et d’influence, sous la forme d’une coalition. Son objectif : réunir les entreprises concernées, structurer leur positionnement, rédiger des prises de position et organiser un dialogue stratégique avec les institutions européennes. Nous nous entourons d’experts de haut niveau, notamment des professeurs de droit spécialisés, afin d’apporter une expertise pointue sur le sujet. Avec un calendrier de 12 à 18 mois avant que la Commission ne présente sa proposition, nous avons l’opportunité de peser en amont du processus législatif et d’assurer que les intérêts des entreprises françaises soient bien pris en compte.
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